La parodie littéraire au service du marketing

13/04/2018

« Nietzsche ta mère », « petit Gauguin », « Madame Beuverie » ... voilà ce que vous trouverez inscrit sur les T-Shirts, sweats ou encore tote bags Monsieur ou Madame T-Shirt. Des jeux de mots graveleux, des parodies littéraires, il fallait avoir l'audace d'en faire une stratégie marketing. Monsieur et Madame T-Shirt l'ont fait, et ça marche !


La marque de prêt-à-porter fait en 2014 le pari risqué de s'associer au célèbre Tumblr des Fists et des Lettres, qui doit sa renommée à son humour politiquement incorrect à base de détournements d'expressions grivoises sur fond de références culturelles. Mis en ligne en 2013 par Cédric Gomes et Flo Lausecker, deux anciens communicants de l'entreprise Wunderman, Des Fists et des Lettres connaît tout de suite un franc succès pour son caractère osé et décalé qui allie à la perfection provocation vulgaire et finesse du jeu de mot littéraire. Un succès qui se solde par la création de produits dérivés et le tout récent blog Je pense donc je jouis dont la rubrique « cul(ture) » annonce bien la couleur.

Cette collaboration se solde aujourd'hui par un chiffre d'affaire de plus d'un million d'euros ! La culture serait-elle devenue fashion ?

S'il semble indubitable que l'aspect décalé et subversif de ce concept novateur soit à l'origine d'un tel engouement, encore faut-il savoir quel rôle le détournement littéraire joue ici. Car paradoxalement, si ces vêtements redescendent la culture de son piédestal, reste que pour comprendre le jeu de mot, une certaine culture est requise. En effet comment comprendre et rire d'une phrase telle que « même à poil, je garde mes Stendhal » sans connaître l'auteur de La Chartreuse de Parme ? Entre vulgarité populaire et connaissances savantes, voilà toute l'ambivalence du genre parodique auquel on a affaire si on en croit la définition qu'en donne Henri Bergson dans son Essai sur la signification du Comique, à savoir : on appelle parodie la transposition du solennel en familier. C'est bien ici le fait de détrôner du sacré pour en faire de la bassesse vulgaire qui constitue la parodie vendeuse.

Mais alors la marque ne s'adresse-t-elle qu'à des initiés savants, des férus de lettres et de philosophie, adeptes de montrer leur culture tout en demeurant « fun », sorte de syndrome du « cancre-intello » ? Si les puristes sont d'emblée écartés de la cible marketing, sans doute ne doit-on pas en exclure les non-initiés à l'extrême inverse. Car si la parodie, par son effet de mosaïque d'imitations, à une valeur de destruction, elle en a également une de réactualisation. C'est par cette reconstruction novatrice que la cible s'élargit. En effet, le non-initié qui ne reconnaîtrait pas la référence du premier coup, serait par la suite intrigué par le produit final de la réactualisation : « Que signifie Stendhal ? Qui est-il ? Pourquoi untel porte-t-il ce T-Shirt ? En quoi est-ce drôle ? ». Tant de questions qui provoqueront l'inversion du rapport référence/réactualisation. Le non-initié qui tombera par la suite sur le Rouge et le Noir sera amusé d'y reconnaître un nom familier grâce à un t-shirt qu'il avait remarqué.

On assiste ici à un retournement de situation : le marketing qui croyait se servir de la littérature à des fins économiques se retrouve ici mis au service d'une sensibilisation culturelle, accessible à tous. Et c'est bien en cela qu'on peut considérer que des Fists et des Lettres maîtrise parfaitement le genre de la parodie. En effet, à en croire la définition de Daniel Sangsue dans La Relation parodique, les trois fonctions de la parodie sont ici respectées : fonction comique, satirique et ludique. Cette dimension ludique se retrouve bien dans le jeu de mot qui comme on l'a vu pourrait être doté d'une vocation didactique pour le non-initié.

Ainsi cette technique marketing oscillant entre jeux de mots cultivés et pratiques vulgaires semble jouir d'un tel succès par l'effet de comique produit par cette impression de violation de l'inviolable. On a parlé de détournement culturel, mais on devrait sans doute davantage considérer une collaboration étroite entre culture et marketing, l'un permettant la rentabilité économique de l'autre, là où le marketing permettrait, par voie détournée, une diffusion ou du moins une sensibilisation d'un nouveau public à la culture.

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